dimanche 15 mars 2009

Julien Coupat reste en prison, son entourage déplace l'affaire sur le terrain politique



paru le 13/03/09 sur mediapart.fr



Pour la quatrième fois, la cour d'appel de Paris vient de dire non. Non à la remise en liberté de Julien Coupat. Ses motifs sont toujours les mêmes: la justice craint une «concertation frauduleuse» entre les mis en examen qu’une telle remise en liberté pourrait provoquer. Elle craint, aussi, que des éléments matériels (sans dire lesquels) pourraient être détruits. Voire que les sabotages de caténaires SNCF, comme ceux du 8 novembre 2008 dont elle attribue la paternité à Julien Coupat, pourraient reprendre.

Selon les informations recueillies par Mediapart, les magistrats attendent aussi des «retours d’expertises d’objets saisis». En clair: des empreintes ou de l’ADN, jusqu’ici totalement introuvables. Sauf que, quatre mois après les faits, c’est un délai sérieusement long pour une affaire du genre, une affaire dite «signalée», une affaire aussi politique, où généralement les laboratoires sont priés de faire passer ces expertises en priorité… A moins, à moins, que les commissions rogatoires en suspens ne portent sur des écoutes téléphoniques (selon une source proche de l’enquête) ou relèvent d’études sur les moyens techniques de saboter les lignes TGV (selon l’AFP).

Quoi qu’il en soit, la justice n’en démord pas et n'en a pas démordu vendredi 13 mars: Julien Coupat, c’est le chef de bande, le leader d’un groupe dont, pourtant, tout laisse à croire que la notion même de hiérarchie lui est sérieusement étrangère. A 35 ans, Julien Coupat tourne et retourne donc dans sa cellule de 7 m2, à la Santé, à Paris, avec comme chefs de mise en examen la «direction d'une entreprise terroriste et destructions en réunion à visée terroriste». Faits qu’il a toujours niés, et chez les policiers et chez le juge Thierry Fragnoli. Les huit autres mis en examen sont, eux, libres. Soit depuis la fin de leur garde à vue (mi-novembre), soit depuis au moins deux mois.

L'avocate de Julien Coupat, elle, est en colère. Me Irène Terrel annonce qu’elle va demander «que la juridiction antiterroriste soit déclarée incompétente car tout ceci n'a rien à voir avec du terrorisme». Et, au passage, elle rappelle que la qualification de «chef» à propos de son client ne «repose sur rien, sur aucun fait objectif: c'est une pure construction politique». Elle pourrait même, «s'il le faut», saisir la Cour européenne des droits de l'Homme «sur le caractère abusif de cette détention provisoire».
En fait, il semblerait que ce soit tout l’entourage de Julien Coupat qui ait décidé de durcir le ton. Les mis en examen vont désormais refuser de répondre aux questions du juge, tout en se rendant à ses convocations, en solidarité avec leur ami. Un texte d'explication pourrait bientôt circuler en ce sens. Et le dossier de l’enquête pourrait être, selon son avocate, «ouvert au cours d'une conférence de presse dans les prochaines semaines».

Les motivations de Me Terrel sont claires: «Puisqu'il ne sert visiblement à rien de se limiter au terrain juridique, nous allons nous déplacer sur le terrain politique, là où toute cette affaire a été fabriquée.» Elle cite une longue «chasse aux sorcières» qui aurait démarré à ses yeux avec la circulaire Dati qui, dès juin 2008, demandait aux parquets de se concentrer sur les mouvements radicaux d'extrême gauche, «avant d'être relayée par les déclarations de Michèle Alliot-Marie».

Jointe par Mediapart, Me Terrel en appelle «aux citoyens et aux intellectuels». Et leur propose de «rejoindre une association de "mal-penseurs" puisqu'il s'agit, dans cette affaire, de criminaliser la pensée critique». Quant au reste, elle est formelle: «Puisque la police a organisé des fuites dès le départ de cette enquête, puisqu'elle a jeté en pâture des photos de filature de Julien, alors, allons jusqu'au bout, ouvrons le dossier...» Au Palais de justice de Paris, Michel Lévy, le père de la compagne du suspect, Yildune, a renchéri: «C'est une histoire scandaleuse, il faut que ça s'arrête.»


Dès jeudi 12 mars, l’assaut «intellectuel et politique» avait en fait sonné. Dans un entretien pour le JDD en ligne, Dominique Voynet (sénatrice Verts) a en effet dénoncé «une affaire totalement gonflé », «un cirque politico policier». Elle ajoutait: «Des vies peuvent être foutues en l'air par légèreté, par un système policier et judiciaire méprisant.» En fait, Dominique Voynet est une habituée des prises de position dans l’affaire, aux côtés de Noël Mamère, Daniel Cohn-Bendit (Verts) ou des communistes Patrick Braouzec ou Marie-George Buffet. En décembre, l’ex-porte parole des Verts avait déjà «visité» Julien Coupat à sa prison. C’est déjà ça. Mais c’est à peu près tout, question soutiens politiques de premier plan.

Ainsi, mercredi 11 mars, Ségolène Royal, interpellée par un auditeur de France Inter, avait clairement refusé de prendre position au prétexte qu’elle ne «maîtrise pas le dossier» (cf. cette vidéo malicieuse). Au même moment, son parti s’apprêtait à publier une brochure «la France en libertés surveillées», dans laquelle le nom de Julien Coupat était évoqué au détour d’un paragraphe consacré au régime de la détention provisoire en France. En fait, un simple extrait du blog du juge Dominique Barella; moins véhément que l’unique sortie un peu sèche venue, quelque temps plus tôt, des rangs du PS via André Vallini. C’est dire si le soutien politique est encore loin d’être à la hauteur des attentes de certains proches de Julien Coupat.

En face, les contre-feux couvent. A l’image de la longue (et rare) interview de Bernard Squarcini, le boss de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), sur quatre pages parue jeudi dans Le Point. C'est-à-dire, à peine 24 heures avant que la justice ne rende sa décision sur la détention provisoire de Julien Coupat... Un quart, pas moins, de l’entretien est d'ailleurs consacré à l’affaire de Tarnac. Qui se résume par ces deux phrases: « Je peux vous dire que [le dossier] n'est pas vide... » et «Que les citoyens soient rassurés: nous ne fabriquons pas de dossiers!» Et l’homme fort du contre-espionnage (1600 policiers, tous anciens de la DST et des RG) d’ajouter: «Dans l'affaire de Tarnac, il n'y a pas de délit d'opinion mais un long travail de renseignement.» De son côté, la Sous-direction anti-terroriste, chargée des investigations, était, il y a quelques jours encore, «sous pression», selon une indiscrétion policière. Traduction: où sont les preuves ?

Pendant ce temps-là, c’est la figure même de Julien Coupat qui semble changer. A intervalle régulier, désormais, en Grèce, comme ailleurs, des sabotages sont revendiqués en son nom. En France même, effet collatéral de l’affaire, «Coupat» devient presque une marque de fabrique, un nom de ralliement, de tracts en tracts, de forums en sites Internet. Jusque dans l’étrange histoire des lettres de menaces envoyées à Nicolas Sarkozy et différentes personnalités de l’UMP ou de TF1. Dans l’une des dernières missives, le ou les corbeau(x) réclamai(en)t ce lundi: «L'arrêt des reconduites à la frontière, la remise en liberté de Jean-Marc Rouillan (cofondateur d'Action directe, ndlr), de Julien Coupat, et l'arrêt de la parodie de justice contre Yvan Colonna.» De quoi rendre un peu plus fébriles encore des policiers déjà sur les dents. Notamment à quelques jours du sommet de l'OTAN, à Strasbourg. La preuve, Bernard Squarcini lui-même le reconnaît dans son interview: «Aujourd'hui, chaque sommet international donne lieu à des affrontements de plus en plus durs avec les forces de l'ordre. Nous nous préparons à en voir de nouveaux au sommet de l'OTAN, les 3 et 4 avril à Strasbourg. Notre travail est de prévenir ces dérives et de neutraliser ceux qui pourraient en être responsables.» En un mot, c'est toute la méthode de l'anti-terrorisme qui est ici résumée. C'est aussi toute la question du débat que voudraient voir s'ouvrir les proches de Julien Coupat: qu'est-ce qu'une justice «préventive»? Une police de prémisses?

David Dufresne




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