samedi 30 mai 2009

Presse en crise et presse de crise









Chronique de Pierre Marcelle du 29 mai 09 paru dans Libération

«Le Monde» déprimé

Alors, dans une «analyse» remarquée donnée lundi au Monde,M. Michel Noblecourt, comme son nom l’indique, découvrit que finalement, le matin du grand soir, ce serait plutôt p’têt’ben qu’non. A la veille de la quatrième «journée d’action» du semestre qui, mardi, allait achever de décourager un peu plus le salarié, la lucidité du confrère, fût-elle un peu tardive, entrait de plain-pied dans la légende dont le Monde s’est fait une spécialité.

Difficile en effet, dans la «déprime sociale» que déplore M. Noblecourt, de ne pas entendre l’écho de son aîné, feu Pierre Viansson-Ponté, qui, le 14 février 1968, éditorialisa son brame fameux : «La France s’ennuie». Revisité après la grève générale de mai-juin, le propos allait bientôt (par un tour de passe-passe dont les ressorts, quarante ans après, m’échappent encore) passer pour la géniale annonciation des pavés de Mai.

Son successeur éditorialiste chasse sur ces terres, dont l’intitulé du papier évoque «les pavés de mai 2009» ; à «l’ennui» de l’un répond la «déprime» de l’autre, qui pas une seconde ne songe à évoquer le rôle de bureaucraties syndicales, lesquelles, depuis six mois, nous font battre l’asphalte dans l’incantation de leur unité comme une fin en soi. Pour quoi faire, sinon amuser le tapis en priant pour que nul accident de «séquestration» ne vienne contrarier la perspective de la trêve estivale ? A la chute, M. Noblecourt incite cependant le gouvernement à ne pas trop nous les énerver, les syndicats, «alors que l’avalanche de plans sociaux prévus à l’automne peut porter le risque social à son paroxysme».

Qu’à l’automne, le temps se couvre, M. Noblecourt sera couvert…


Au centre du truc, Coupat

Mais ne soyons pas injustes avec M. Noblecourt, et constatons que les syndicats ne sont pas seuls responsables de notre «déprime» ; certain parti politique, s’affublant du beau nom de socialiste, en prend volontiers sa part. En pleine campagne pour les élections européennes, l’occasion semblait assez bonne, pourtant, d’en finir avec les fantaisies qui se débitent à longueurs d’ondes et de colonnes, à propos de sortie de crise. Quelque expert ou quelque ministre, quelque Minc ou quelque Lagarde, lança un jour que, juré-craché, début 2010, les affaires repartiraient comme en 14, sans que bronchent le PS passif, ni la presse servile, ni l’opinion enfumée.

Ainsi tronçonnée en ses divers aspects financier, monétaire et social, l’hydre de «la crise», malgré 639 000 chômeurs supplémentaires promis en 2009, se découvre soudain sous contrôle. Assez, du moins, pour que la question politique de la légitimité de l’exécutif ne se pose qu’en termes diplomatiquement ronronnants.

C’est sans doute la raison pourquoi nul, là-haut, ne broncha devant ce formidable déni de justice et de démocratie que symboliquement incarna la personne enfermée, durant cent quarante-sept jours, de Julien Coupat, dont la libération «sous contrôle judiciaire strict»attendue hier, sonnait comme un terrible aveu d’arbitraire judiciaire et policier. Mais n’est-ce pas ce même Coupat qui avait lundi, dans un entretien remarqué au Monde dont c’était décidément le jour, évoqué ces «bureaucraties syndicales» et partisanes, autrement armées pour ébranler la Sarkozie, que ses camarades «qui se font de la vie une idée moins squelettique» ?

Nous en sommes là : durant bientôt sept mois que le Prince et ses aboyeuses Alliot-Marie et Dati ont rétabli les lettres de cachet, ce qui fait fonction d’opposition a regardé ailleurs et, par son silence complice, entériné la chape de plomb et les bruits de botte, les chiens policiers fouaillant les cartables écoliers, les gamins de 6 ou 10 ans reclus aux commissariats, et le délit de lecture.


France Inter boucle la boucle

Pour que, durant plus de vingt semaines, pas un appel à manifester pour la libération de Coupat n’ait été lancé par l’opposition parlementaire (ni d’ailleurs par M. François Bayrou, ce grand opposant), il devait bien y avoir une raison. M. Thomas Legrand, éditorialiste politique aux matins de France Inter et membre des drilles de Demorand qui, paraît-il, irritent le monarque, nous l’a livrée mercredi dans un papier fielleux.

En 4 000 signes serrés et trois minutes chrono, Coupat s’y découvrit habillé pour l’hiver : «Il dit à peu près n’importe quoi - c’est un brin parano, prétentieux, évidemment outrancier […] Il est aussi intellectuel [sic] et abscons […] allumé cultivé et radical. En le lisant, on se dit qu’il peut très bien avoir écrit l’Insurrection qui vient, ce qui en soi n’est pas grave, mais aussi qu’il peut très bien avoir participé au sabotage d’une ligne de chemin de fer.»

Si le parquet a autorisé sa libération, ce ne fut pas grâce à M. Legrand qui, à la chute, pose pour la forme l’hypothèse que Coupat ait été «très vraisemblablement injustement» emprisonné. M. Legrand est bien bon. Citant Sieyès et Condorcet, il ratiocine que«les mots doivent garder un sens», et que, appliqué à Coupat, celui de «terroriste» n’est peut-être pas très pertinent.

Julien Coupat devant voir hier son écrou levé, M. Legrand était couvert.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire