lundi 13 juillet 2009

" L'insurrection qui vient " vu par la Revue Défense Nationale





Dans le dernier numéro de la revue Défense Nationale (Juillet 2009), on peut lire une longue critique de ce livre, sous la plume de Catherine Dyja, qui est commissaire dans l'armée de terre. Les thèses développées dans "l'Insurrection qui vient" y sont présentées de manière très objective, offrant un bon résumé du contenu.



Par Catherine Dyja:

"L’insurrection qui vient" part du constat que « sous ses airs d’extrême normalité, l’époque est celle d’un futur sans avenir ». L’auteur y dépeint une société en pleine déliquescence.
Les exemples choisis sont percutants parce qu’ils renvoient chaque lecteur à des ressentis qui lui sont familiers : l’auteur souligne par exemple que « ceux qui votent encore donnent l’impression de n’avoir d’autre intention que de faire sauter les urnes à force de voter en pure contestation » ou « que l’on trouve parmi les inculpés des incendies de novembre 2005 toutes sortes de profils que n’unifie guère que la haine de la société qui existe, et non l’appartenance de classe, de race ou de quartier ».
La première partie du livre se présente comme la démonstration d’une évidence : celle d’un ras-le-bol général ou il n’y a plus de repères, car plus de sens. De fait, les bases sur lesquelles repose notre société sont déconstruites une à une.
Ainsi, lors de la crise des banlieues, l’inédit ne réside pas dans la révolte, mais dans la rupture avec ses formes établies. Les assaillants n’écoutent plus personne, ni les grands frères ni l’association locale qui devrait gérer le retour à la normale. Désaffiliés de tout, sauf de la marchandise, apparemment plus occupés par les signes de la richesse sur soi que par sa redistribution à tous, les habitants y ont pour repère des marques de blousons et de chaussures. On peut se demander s’ils ne sont pas les damnés de la terre ou les laissés-pour-compte du capitalisme ?
C’est en partie la raison pour laquelle il n’existe plus de solution sociale à la situation présente car le langage pour une expérience commune s’est évanoui tout comme celle de l’époque des générations de militants. Ainsi le « je suis ce que je suis » résume bien une situation de désolation où l’on assiste à une individualisation de toutes les conditions de vie, de travail et de malheur. C’est la raison pour laquelle « appeler société le peuple d’étrangers au milieu duquel nous vivons est une telle usurpation que même les sociologues songent à renoncer à ce concept au profit de la métaphore du réseau ».
Mais l’auteur ne s’arrête pas à la démonstration d’une solidarité perdue. Il en extrait une violente critique du pouvoir d’État. L’État apparaît comme broyant par instinct les solidarités qui lui échappent afin que ne reste que la citoyenneté. C’est aussi lui qui n’arrive pas à rendre enchanteur le fait de « torcher des vieillards qui n’ont rien à dire » ou qui tente d’inculquer l’amour de la société à ceux qui ont trouvé dans le crime d’autres voies et plus de bénéfices que dans l’entretien des surfaces. Pour l’auteur, « le fait que l’on ait pris le soin de préciser que le drone, qui a survolé la Seine-Saint-Denis en juillet dernier, n’était pas armé énonce assez clairement dans quelle voie nous sommes engagés ».
Ce vide de sens est tout aussi palpable dans le secteur du travail. L’intérimaire n’a plus de métier mais des compétences qu’il vend au fil des missions. Le travail se rattache ainsi aujourd’hui moins à la nécessité économique de produire des marchandises qu’à la nécessité politique de produire des producteurs et des consommateurs. En marge d’un cœur de travailleurs effectifs, s’étend désormais une majorité devenue surnuméraire, qui est certes utile à l’écoulement de la production mais guère plus. L’appareil de production se présente comme une gigantesque machine à mobiliser psychologiquement et physiquement qui laisse choir les individus à risque, c’est-à-dire tous ceux qui incarnent une autre manière de vivre. Désormais, avoir un travail est un honneur et travailler une marque de servilité. En France, les grands patrons qui ne sont pas issus de la noblesse d’État sont des parias du monde des affaires. La méthode de sélection des élites est aussi remise en cause.
On peut penser que dans le vide actuel, le politique peut construire un discours de sortie de crise, donner du sens et une perspective. Il pourrait le faire en s’appuyant sur les valeurs montantes comme l’écologie ou la croissance durable. Mais l’auteur de L’Insurrection qui vient ne voit, à chaque nouvelle preuve du réchauffement climatique, que « l’excitation morbide qui dévoile le sourire d’acier du nouveau capitalisme ». Traçabilité, transparence, certification et écotaxes justifieront pour lui « tout à un pouvoir qui s’autorise de la nature, de la santé et du bien-être ».
L’auteur en tire la révélation que l’État ne peut plus rien, « l’Occident c’est aujourd’hui un touriste perdu au milieu des plaines de Mongolie, moqué de tous et qui serre sa carte bleue comme son unique planche de salut ou une jeune fille qui cherche son bonheur parmi les fringues, les mecs et les crèmes hydratantes ». Le choc des civilisations est ainsi une chimère d’un Occident en déliquescence ou seule la provocation subsiste.
La démonstration menée déconstruit une à une les bases sur lesquelles repose notre société pour fournir une esquisse de solution dans la seconde partie du livre. L’auteur appelle à un soulèvement, qui sera d’autant plus difficile à canaliser pour le pouvoir en place qu’il serait anonyme : « Saboter toute instance de représentation ». La constitution de communes qui ne craindraient pas de s’organiser pour la survie matérielle de chacun de leurs membres est ainsi appelée de ses vœux. L’auteur du « Comité invisible » prend soin de préciser que leur extension ne devrait pas dépasser une certaine taille au-delà de laquelle elle perd contact avec elle-même et suscite une caste dominante.
La solution décrite est tout aussi critiquable que le système actuel puisqu’elle repose sur des idéaux. En effet, l’auteur décrit des solutions où l’État ne devient pas propriétaire des moyens de production. De même, l’apologie du laisser-faire — libéralisme — n’est pas de mise puisque ce sont les communes qui détiennent le pouvoir. Or, penser qu’une société puisse fonctionner sans leader ou penser qu’elle puisse produire sans coup faillir ce dont elle a besoin suppose que les individus qui la composent soient animés d’un altruisme sans faille. L’absence de règles ne peut donner que libre court à toutes autres formes d’injustices et ouvrir la porte aux potentats locaux. Ainsi, la qualification de doux rêveur pourrait être attribuée à l’auteur quant aux solutions proposées !
Ne pas partager les solutions esquissées dans ce livre est une chose. Mais, on ne peut que constater combien celui-ci met en évidence le profond malaise qui règne en France. Les Français traversent indubitablement une crise qui n’est pas seulement économique et sociale mais qui est avant tout une crise de la morale. On a oublié l’homme et privilégié le profit. C’est aussi une crise du sens. Et lorsqu’il n’y a plus de repères, que le sentiment d’injustice domine, toutes sortes de dérapages peuvent se produire. « Refonder le contrat social et moral » paraît d’autant plus nécessaire que passer un point de non-retour, le sentiment d’injustice se fait trop criant et plus aucun type de légitimité ne peut être trouvé.




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