mercredi 11 novembre 2009

Un vrai faux PV ...




Article paru sur SUD-OUEST le 11/11/09.


Tarnac, la défense contre-attaque

Affaire Coupat. Un an après, le dossier semble au point mort. La défense démonte un PV de police, le principal atout de l'accusation


Le 11 novembre 2008, à l'heure du laitier, quelque 150 gendarmes et policiers armés et encagoulés investissent la ferme du Goutailloux, dans le petit village de Tarnac, en Corrèze. Au même moment, même scénario à Paris, Rouen, et dans la Meuse. Au total, une vingtaine de personnes sont interpellées, dix placées en garde à vue. Trois jours plus tard, neuf seront mises en examen par le juge Thierry Fragnoli pour « association de malfaiteurs en liaison avec une entreprise terroriste », puis placées en détention provisoire.

Il est 10 h 30 quand Michèle Alliot-Marie convoque la presse. La ministre de l'Intérieur se réjouit du démantèlement d'un groupuscule « d'ultragauche, mouvement autonome ». La Cellule invisible, c'est son nom, et son « chef » est Julien Coupat. Une enquête « très fouillée » les met en cause dans les actes de sabotage commis la semaine précédente sur des lignes SNCF. Le procureur de Paris, Jean-Claude Marin, y va à son tour de sa conférence de presse pour renchérir : « Le but de leur entreprise est bien d'atteindre les institutions de l'État et de parvenir par la violence à troubler l'ordre politique, économique et social. »

De la chancellerie, de Matignon, de l'Élysée, les félicitations pleuvent sur les forces de l'ordre, leur « mobilisation », leur « efficacité ».

Un vrai-faux PV ?

Un an plus tard, ces mâles assurances sonnent le creux. Pas sûr que les journalistes soient invités ce matin place Bauveau pour le premier anniversaire de l'« affaire » de Tarnac. Le parquet de Paris est silencieux, le juge Fragnoli aussi. Les détenus ont recouvré la liberté les uns après les autres, au bout de quelques jours pour les uns, de quelques mois pour Julien Coupat et sa compagne, Yldune Lévy, et le dossier semble au même point qu'il y a douze mois. C'est-à-dire au point mort.

La parole est maintenant à la défense. C'est elle qui tient désormais la vedette dans les médias. Les nouveaux avocats des neuf mis en examen, Jérémie Assous et Thierry Lévy, ont adressé lundi une note au juge d'instruction pour lui rappeler « son obligation d'instruire à charge et à décharge ». Ils lui demandent notamment de « confronter les enquêteurs à leurs contradictions » afin de déterminer quel crédit on peut apporter à leurs investigations.

Est visé ce que Me Assous qualifie de « socle de l'accusation » : le procès-verbal de police qui atteste de la présence de Julien Coupat et d'Yldune Lévy à Dhuisy (Seine-et-Marne), la nuit où la ligne du TGV-Est fut endommagée par un fer à béton accroché à une caténaire. « En analysant le rapport des policiers de la Sdat (Sous-direction antiterrorisme) qui les filaient ce soir-là, on s'aperçoit qu'il est totalement incompatible avec la réalité du terrain. Soit le PV ne décrit pas la réalité, soit cette réalité s'est abstraite des règles de physique les plus élémentaires ! »

L'avocat s'est rendu sur place pour se livrer à sa propre reconstitution. La ligne LGV est en hauteur, c'est une longue ligne droite, et par nuit claire « c'est un véritable théâtre d'ombres », dit-il. « Si les policiers étaient effectivement en planque, comment expliquer qu'ils n'aient rien fait ? Pour poser le fer à béton là où il était, il faut escalader deux grilles hérissées de barbelés, parcourir 530 mètres et grimper un pylône de 7 mètres, le tout à l'aller et au retour. Et ils n'auraient rien vu, rien entendu ? »

D'autres incohérences truffent le procès-verbal, selon Me Assous. La chronologie de la filature, telle qu'elle est minutée par les policiers, signifierait que l'antique Mercedes de Julien Coupat et de sa compagne a battu des records de vitesse sur les petites départementales de Seine-et-Marne. Aucune trace de pneu de la même Mercedes n'a été relevée à l'endroit où elle est censée avoir stationné. Pas plus, d'ailleurs, que de la voiture de la Sdat. « Et comment se fait-il que les policiers disent avoir alerté leur hiérarchie dès 5 h 10 alors que la SNCF, elle, n'a été prévenue qu'à 9 h 55 ? » Conclusion ? « Ni Julien et Yldune, ni les policiers de la Sdat n'étaient présents sur les lieux du sabotage. » Mais c'est sur la foi de ce procès-verbal qu'ils ont été jetés en prison pendant six mois.

Pas de commémoration

Aujourd'hui à Tarnac, aucune autre commémoration que celle de l'armistice n'est prévue. Sans doute l'épicerie sera-t-elle ouverte, ainsi que le bistrot, auxquels ceux du Goutailloux ont redonné vie.

Son gérant en titre ne sera pas là. Benjamin Rosoux, comme les huit autres mis en examen, est soumis depuis sa sortie de prison à un contrôle judiciaire très strict. Assigné à domicile chez sa mère, en Normandie, il a retrouvé un emploi tout récemment dans un bar-librairie. « Jusqu'à il y a encore trois semaines, j'étais obligé de pointer tous les jours à la gendarmerie. Le contrôle a été assoupli sur ce point, mais c'est bien le seul. Je n'ai toujours pas le droit de retourner à Tarnac. J'attends que tout ça se finisse au plus vite. Et ça fait un an que ça dure. »

Auteur : Pierre-Marie Lemaire






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