mardi 29 septembre 2009

Les félicitations du SGP à la CRS 52


DANS LA SÉRIE :




Quand le premier syndicat SGP-Unité Police (affilié à FO) félicite ses troupes pour le démantèlement de la "jungle" à Calais...




source: http://www.unitepolice.com/fr/

!?! flexibles, dociles, rentables, et pas faignant, des pros incontournables au service de l'évènementiel !?! ça ressemble à une blague de très très mauvais goût !
Et on peut même télécharger l'affiche pour la caserne ou le dortoir ...
(voir la chambre des petits ?).

Il semblerait que ce syndicat et ces affiliés se mettent à pratiquer l'humour "horteufien" inspirés par le registre varié et prolifique de "blagues" du précédent ministre de l'immigration comme par exemple ... celle où il a organisé une conférence européenne sur la gestion de l'immigration à Vichy en 2008 ? (vous pensiez à une autre peut être ?).

E.Besson adore cette ambiance ! et il en redemande aujourd'hui !
Il a évoqué lundi de nouvelles opérations "avant la fin de la semaine", c'est ça son humour à lui... la "blague" de celui qui veut reconduire des Afghans dans leur pays, "en guerre"!(heu...en maintien de la paix par l'OTAN...pardon !).




Cet extrait de gargarisation interne pour motivation de troupes vous a été dénichée par A. (Qui a décidé d'aller à la rencontre de son "tout autre" à lui ces derniers temps ^^ encore Merci!)

vendredi 25 septembre 2009

MAM de MIL

dernière mise à jour le 26/09/09




Dans notre boite il y avait un mail de A., on aime bien les mails de A.. Cette fois, il veut nous faire partager une intervention de Michelle Alliot Marie, trouvée dans une sorte de "journal" ?...?


Dedans on y relate les propos de MAM, la ministre de l'intérieur de l'époque en février 2009 devant ses troupes de MIL-itants, lors de la XIXéme convention nationale du MIL.

Le MIL (Mouvement Initiative et Liberté) a été créé en 1981 par des responsables de l'UNI et du SAC (qui allait être dissout en 1982). Si le MIL se présente désormais comme "groupe de réflexion" ou même groupe de pression de la droite dure (contre le PACS, contre les immigrés, anti-grève,...), on se souvient de la présence de ses gros bras contre les mouvements sociaux en Novembre-Décembre 1995.



Extrait de son intervention, à la page 4 du bulletin du MIL, N°241, Mai 2009:


"(...)Ce qui se passe en Grèce, ce qui se prépare en Allemagne, en Italie ou en Belgique, ce que nous commençons à voir surgir en France c'est cela. Ce sont des groupes qui contestent l'autorité, qui contestent l'Etat et qui veulent attaquer non seulement les symboles mais aussi les moyens de fonctionnement de l'Etat. Et cette opposition à l'autorité de l'Etat apparaît d'autant plus que l'Etat dans la crise est en train de resurgir. Nous devons y veiller, nous devons être très attentifs. on a connu cela dans les années 70 et 80, nous pouvons très bien connaître de nouveau ces phénomènes allant éventuellement jusqu'à la violence dans les mois et dans les années qui viennent. Que nous ayons arrêté au mois de décembre 2007, au mois de février 2008, des gens se réclamant des groupes anarchistes ou autonomes avec sur eux des explosifs en même temps que leur tracts c'est aussi un signe. Vous avez un rôle à jouer, un rôle pour expliquer, pour convaincre, pour créer de la part de l'opinion publique un rejet de ces groupes.(...)"


En tant que ministre de l'intérieur, elle dit clairement aux militants du MIL de conforter l'Etat pour "convaincre" et "créer de la part de l'opinion publique un rejet de ces groupes"..."L'ennemi intérieur" est ici distinctement désigné, et la stratégie (répression, bourrage de crâne idéologique et médiatique...) est en marche.

Un peu plus tard, elle met même en garde ses troupes contre un autre "problème": car si pour Michelle il y a des groupes "terroristes" parmi la population, il s'y cache aussi de redoutables bases arrières de l'ennemi :

(...) "parce que le problème c'est qu'en dehors de ces groupes vous avez également toute une nébuleuse, je dirais de gauche bien pensante, qui a tendance à dire que du moment qu'il s'agit de gauche même s'il s'agit de l'ultra, cela ne peut pas être condamné. Faisons très attention à cela." (...)



Mais on te l'a déjà dit combien de fois ?: "Arrêtes les parkas camouflage et ne fixes pas si longtemps la nébuleuse Michelle ... ça va te rendre malade !"

Si vous voulez quand même télécharger ce torchon en pdf pour vérifier, sans passer par le site du MIL ... cliquer iCi


Merci à A. ;) pour le compte rendu de cette petite partie de chasse aux sorcières
entre amis, et pour avoir traqué l'info aussi "loin"... tout "là bas".



A PROPOS:

(...)Au fait, qu’est-ce que le MIL ?

« Une structure un peu moins voyante que le SAC (Service action civique) », répond Jean-Yves Camus (dans un article intitulé "Les gardiens du temple UMP montrent les dents et jouent des poings" paru dans l'Humanité en mars 2007), chercheur spécialiste de l’extrême droite, qui reconnaît une filiation directe avec la milice gaulliste dissoute en 1982, plusieurs fois condamnée pour coups et blessures volontaires, agressions armées, attentats, vols et recels, association de malfaiteurs, etc. Autre temps, mêmes méthodes ? Ces anciens parachutistes ou policiers « ont une fascination visible pour la chose militaire », selon le chercheur. Mercredi, ils ont prouvé leurs « réflexes professionnels ». Et leur idéologie ? Ce sont des « gardiens du temple » qui font « une fixation sur la gauche » : « Leur discours n’a pas bougé depuis 1981, quand ils disaient que l’élection de Mitterrand conduirait les chars soviétiques dans les rues de Paris », explique Jean-Yves Camus. Vérification dans Vigilance et action, la revue éditée par le MIL, qui recense leurs campagnes d’affichage : « libérons la télé du socialisme » (1 986), « ici comme à l’Est, libérons-nous des socialo-communistes » (1 990). D’autres affiches prouvent l’assimilation par la droite des thèses du Front national : « immigration : trop c’est trop » (1 988), « être Français, ça se mérite » (1 996), « la France, aimez-la ou quittez-la » (1991, 1997, 2 003). Si le mouvement est « entièrement lié à l’UMP », il fait visiblement office de « charnière entre la droite et l’extrême droite », selon Jean-Yves Camus. Le manifeste du MIL parle également de « l’identité nationale en péril ». Les gros bras de Nicolas Sarkozy tiennent aussi sa plume ?



Il était une fois, le "storytelling"




Dans le vieux tiroir aujourd'hui j'ajoute quelques documents et liens qui traitent des usages sociaux du récit, à travers le "storytelling" qui est décliné dans de nombreux domaines, du manadgement dans les entreprises, aux politiques et leur "spin doctor" en passant par l'industrie des "va-t-en-guerre".

D'après Christian salmon :" C'est un hold-up sur la narration pratiqué par toutes sortes de machines d'influence, des machines idéologiques liées au néo capitalisme mondialisé."(...) "Raconter est devenu un moyen de séduire et de convaincre, d’influencer un public, des électeurs, des clients. Cela signifie aussi : partager, transmettre, des informations, une expérience. Configurer des pratiques, des savoir-faire. Formaliser des contenus, formater des discours, des rapports. Le storytelling, ce n’est pas seulement des histoires, c’est un format discursif ou, pour parler comme Michel Foucault, une “discipline”."


• Questions à Christain Salmon


Comment en est-on arrivé là ?

Dans les années 1960, l'idée de Roland Barthes selon laquelle le récit est l'une des grandes catégories de la connaissance a donné naissance à une nouvelle science du récit qualifiée par Tzvetan Todorov de narratologie et développée en France autour de chercheurs comme Greimas, Genette, et aujourd'hui Jean-Louis Schaeffer. Elle a coïncidé avec ce qu'on a appelé aux États-Unis le « narrative turn », un tournant narratif touchant une série de disciplines. Historiens, juristes, physiciens, économistes et psychologues ont alors redécouvert ensemble le pouvoir qu'ont les histoires de constituer une réalité. Cet « impérialisme narratif », étayé par l'explosion d'Internet et des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC), se propageant aux sciences de l'organisation et au management, a donné naissance à ce qu'on qualifie aujourd'hui de « storytelling management ». C'est une réponse à la crise des grandes organisations bureaucratiques et hiérarchiques au profit d'un nouveau modèle d'entreprises devant être capables de s'adapter à un changement permanent. Cette idéologie supposant désormais que chacun s'immerge et se soumette à une fiction commune, celle de l'entreprise, comme on se laisse captiver par un roman.

Quels sont les dangers de ce détournement ou perversion des récits ?

C'est d'abord la banalisation du concept de récit, avec la confusion entre un véritable récit (narrative) et un simple échange d'anecdotes (stories). Ensuite, utilisé à des fins de gestion ou de contrôle, le risque évident de manipulation transformant les salariés en cobayes, ce que les théoriciens du management appellent des « expériences tracées ». Enfin, cette « machine à raconter » – qui s'est emballée depuis le 11 septembre 2001 – assure le contrôle des individus qu'elle formate bien plus efficacement que toutes les imageries orweliennes de la société totalitaire : le sujet de ce nouvel ordre narratif n'est plus le consommateur aliéné ni le travailleur exploité, ni même le citoyen endoctriné, mais un individu envoûté, pris dans un filet narratif qui filtre les perceptions, stimule les affects et conduit les conduites. Une évolution que le cinéaste danois Lars Von Trier a bien vu venir affirmant dans son manifeste intitulé Défocaliser : « L'ennemi, c'est l'histoire ! »
source: www2.cnrs.fr



• Un documentaire en 3 parties (50min), "L'art de raconter des histoires (storytelling)"





•L'ère du storytelling paru sur plusconscient.net

Au début des années 70, le Watergate marque l'émergence du 4ème pouvoir: les médias réussissent l'impensable, faire tomber le président des Etat-Unis. Mais à partir de ce moment, les gouvernements commencent à organiser l'information, notamment en prenant le contrôle de l'agenda médiatique. Aujourd'hui, le storytelling (art de raconter une histoire) est depuis plusieurs années le nouveau moyen de manipulation de l'opinion, utilisé pour la promotion des marques aussi bien que des hommes politiques. Dans cette conférence publique, Christian Salmon développe ce thème, lequel fait l'objet dun livre,"Storytelling - Une machine à fabriquer les histoires et à formater les esprits"(Éd. La Découverte).

Année: 2007
Durée: 1 H 13' 07''



Téléchargement du document audio disponible sur: http://plusconscient.net/societe/77-francais/106-lere-du-storytelling


• Extrait de "Ingénierie sociale et mondialisation" par le Comité Invisible


(...) Ainsi que l’avance dans un essai le célèbre pirate informatique Kevin Mitnick, l’ingénierie sociale serait L’art de la supercherie ; plus précisément l’art d’induire autrui en erreur et d’exercer un pouvoir sur lui par le jeu sur les défaillances et les angles morts de son système de perception et de défense. Illusionnisme et prestidigitation appliqués à tout le champ social, de sorte à construire un espace de vie en trompe-l’oeil, une réalité truquée dont les règles véritables ont été intentionnellement camouflées.

Ces techniques de manipulation s’appuient sur ce que l’on appelle les « sciences de la gestion », nébuleuse de disciplines qui ont commencé à constituer un corpus cohérent à partir des années 1920 et dont la théorie de l’information et la cybernétique résument les grandes lignes idéologiques : à savoir, les êtres vivants et les sujets conscients sont des systèmes d’information susceptibles d’être modélisés, contrôlés, voire piratés au même titre que les systèmes d’information non-vivants et composés d’objets non conscients. Pour les plus connues, ces disciplines gestionnaires sont le marketing, le management, la robotique, le cognitivisme, la psychologie sociale et behaviouriste (comportementale), la programmation neurolinguistique (PNL), le storytelling, le social learning, le reality-building. Le point commun de ces disciplines réside dans leur rapport à l’incertitude, qu’elles tentent toujours de réduire au minimum, si possible à zéro. (...)



• Pour finir, je ne résiste pas à ajouter un traité de "storytelling" appliqué tel qu'il est enseigné aux sbires du marketing et aux vendeurs par un de leur spécialiste qui critique d'ailleurs la position de Christian Salmon

(icone en haut à droite pour mettre en plein écran)


dimanche 20 septembre 2009

L'ignoble attaque des tuniques bleus contre l'armée des clowns

Source: LeCheneLibre (merci^^)

Le SIRRPAC (Serre vis d'Information et de Rutilante Rigolade Propagandesque de l'Armée des Clowns)
présente L'IGNOBLE ATTAQUE DES TUNIQUES BLEUES CONTRE NOTRE ARMEE.

Depuis des lustres, l'Armée des Clowns célèbre le 14 juillet à Paris dans la plus joyeuse et pacifique dignité.C'est le jour du Défilé Mili Terre ! De l'Arc de Triomphe(du Carroussel) à la Colonne (de Vendôme)...

Mais cette année...




PLUS D'INFOS:

http://www.brigadeclowns.org/index.php?title=Accueil

http://artnezrouge.free.fr/

http://greenpitre.canalblog.com/

http://cac40.zeblog.com/

http://bca73.free.fr/



vendredi 11 septembre 2009

Quand la gendarmerie écrit aux clowns insurgés



Paru sur le Jura libertaire le 10/09/09

Quand la gendarmerie écrit aux clowns insurgés

Nos amis de Bellaciao publient un bien curieux échange de mails entre une journaliste de la Revue de la Gendarmerie Nationale et mes petits camarades activistes clowns. Mort de rire.

Selon ce que nous pouvons lire sur Bellaciao, une journaliste travaillant pour la très austère Revue de la Gendarmerie Nationale a fait une étrange demande aux clowns rebelles qui ne ratent jamais une occasion pour chahuter les défilés militaires avec des lance-croquettes et autres bains moussants pour guerres propres.

« Dans le cadre du prochain dossier de la Revue (à paraître en septembre) traitant des mouvements contestataires, nous avons un article mentionnant votre association, explique une Barbara en Rangers. C’est pourquoi j’aurais souhaité savoir s’il était possible d’exploiter certaines de vos photos afin d’illustrer au mieux cet article et en même temps de donner davantage de visibilité à votre mouvement. Pour ce faire, vous pouvez très bien nous soumettre une série de photos de haute définition (à partir de 2MO par contre c’est le seul souci technique) avec les crédits photos à mentionner. En attendant des nouvelles de votre part, je vous souhaite une bonne journée. Bien cordialement. » Suit l’adresse électronique de la gendarmette, barbara.... gendarmerie.interieur.gouv.fr

Lors des manifestations anti-militaristes, anti-nucléaires, anti-antiterrorisme..., clowns radicaux hirsutes et gendarmes bien rasés entretiennent des rapports pour le moins tendus. À Strasbourg, à Paris, sur la presqu’île atomique de Crozon et ailleurs, les RG (Réprimons gaiement), les CRS (Clowns à responsabilité sociale), les GIGN-OL (Groupe d’intervention des gros nez - oups Lyon), les BAC (Brigade activiste des clowns), les BCA (Bureau des clowns affranchis) et quelques autres ont pu sentir de près l’haleine virile des valeureux gardiens de l’ordre capitaliste.

Que faire devant une demande aussi incongrue ? Les gros nez ne se sont pas dégonflés et ont répondu avec un humour désarmant. « Nous côtoyons la gendarmerie régulièrement lors des actions de désobéissance de l’armée des clowns, que ce soit les gendarmeries locales ou les gardes mobiles, rappelle un clown sans grade. Dans notre stratégie d’action directe non-violente, il nous semble important de ne jamais confondre les êtres humains et les fonctions qu’ils occupent. Nous avons donc un rapport cordial avec les hommes et les femmes gendarmes qui se trouvent face à nous, sans jamais oublier qu’ils sont aussi une « force » de maintien de l’ordre, une force armée et une force ayant le monopole légal de la violence. »

Ce préalable poli fait, notre clown prend soin de rappeler quelques vérités. « Les dérives sécuritaires actuelles ne nous font pas non plus oublier que ce sont ces forces armées qui sont amenées à obéir à des ordres de plus en plus injustes, de plus en plus arbitraires. Nos actions ironiques peuvent certes vous paraître « marrantes », « rigolotes », « gentillettes », mais elles sont avant tout politiques et subversives et cherchent à questionner tout le monde : l’opinion publique et ceux qui semblent l’analyser (ou la manipuler) en permanence, les matraqueurs et les matraqués, les exploiteurs et les exploités, les violents et les non-violents... »

La demande de la gendarmerie nationale peut surprendre à plus d’un titre. Notamment quand on sait à quel point des photographes appointés par la maison Poulaga mitraillent les actions et les manifestations. « Nous savons que nous sommes bien « suivis », doux euphémisme lucide sur notre fichage et notre flicage quasi-permament, poursuit le clown rebelle. Aussi, nous prenons avec humour votre demande d’autorisation d’exploiter nos photographies de l’armée des clowns. Vous en avez sûrement plus que nous. Mais peut-être que le cloisonnement entre services faits que vous n’avez pas accès à l’iconographie de la DCRI ou autres services de votre ministère de la Défense. » Question subsidiaire : « Demandez-vous l’autorisation aux black-blocs quand vous illustrez un article sur Comment provoquer l’escalade de la violence grâce à des policiers en civil ? »

À ce stade, on sent qu’une pointe d’énervement commence à chatouiller les grosses narines rouges de l’anti-soldat d’une armée sans dieu ni maître, sans héros ni victimes. « Sachez que nous ne cherchons pas une visibilité coûte que coûte, d’autant moins si elle doit passer par une connivence avec la revue de la gendarmerie. L’armée mondiale des clowns est insurgée, rebelle et les clowns eux-mêmes sont... clandestins. Clandestins comme ceux qu’on n’autorise pas à rester dans nos pays occidentaux, clandestins comme les sans-voix que l’État opprime de plus en plus. Contre tous ces drames quotidiens, nous avons pris le parti d’en rire, le parti de se moquer de ce sérieux, de cette rationalité qui aimerait nous rendre triste, le parti de repousser les lignes de jeux derrière les bottes de vos soldats, de franchir les grillages protégeant vos pires secrets d’État. » C’est dit.

Bon. Revenons à la question initiale. Les clowns insurgés vont-ils envoyer leur album de famille à la Barbara de la revue des souliers à clous ? Rien n’est moins sûr. Fidèles à leur stratégie diabolique, les traîtres tentent plutôt de démoraliser l’ennemi, de le submerger d’amour, bref de l’inviter à déserter. « Oh, Barbara, quelle connerie la guerre », disait déjà Jacques Prévert. « Au lieu de vouloir mettre de belles images dans votre revue sérieuse, venez faire des actions avec nous, vous verrez que l’armée des clowns a davantage d’humanité que votre ministère de la guerre. Et peut-être que l’illustre inconnu que vous croisez en allant faire vos courses ou en marchant dans la rue est un clown en civil », termine l’Auguste ultra-autonome en envoyant un « Gros Bisous » à son interlocutrice qui n’en demande peut-être pas tant.

Smile is not dead... Je ne suis pas abonné à la Revue de la Gendarmerie Nationale, mais j’aimerais bien feuilleter le numéro de septembre. La situation est grave, mais pas désespérée. Clowns de tous les pays, unissez-vous !

Pour visiter la folle planète des clowns insurgés et leurs unités d’anti-élites, allez par exemple sur le site des Anglais de la CIRCA (Clandestine Insurgent Rebel Clown Army), des Clolonels hollandais, du Bataillon Brouhaha du Québec et, bien sûr, de la Brigade Activiste des Clowns (BAC)

(photo empruntée à la BAC)



Par Paco sur www.lemague.net



jeudi 3 septembre 2009

Des "virus" dans le corps social : Retour sur la contresubversion




Paru le 19/08/09 sur le Jura libertaire

La doctrine de la guerre révolutionnaire, spécialité française, ne subit-elle pas un regain d’actualité ? De l’ultragauche au sans-papiers, du chômeur à l’anti-hadopiste, du gréviste au schizophrène dangereux, les stigmatisations et dénonciations de groupes sociaux rappellent cette spécialité de la police et de l’armée françaises aussi appelée doctrine de la contresubversion.


Un climat de terreur latente

Si la doctrine de la guerre révolutionnaire est de retour, au moins à titre d’arme politique, cela signifie que l’ennemi intérieur, ou plutôt les ennemis intérieurs sont l’objet d’une seule et même campagne de création d’ennemis de la société
[On pourrait ajouter d’autres axes, ils se multiplient tous les jours et convergent, sans réelles raisons, à former un ennemi global : ainsi, de l’anti-hadopiste (cf. le salarié de TF1 licencié) à l’anti-ogm, dont les premiers sont «criminels» vis-à-vis de l’industrie de la création, et dont les seconds pourraient un jour se voir accusés d’empêcher certains industriels de «nourrir l’humanité», vu la tendance de la propagande pro-ogm à affirmer être une solution contre la faim dans le monde… Les axes seront sans doute innombrables dans quelque temps, ce qui, dans l’hypothèse de forger un ennemi global, peut avoir pour effet de faciliter la doctrine de la contresubversion, car les interpellations seront d’autant plus faciles que le chef d’accusation sera imaginaire.]. Une campagne relayée et amplifiée par la caisse de résonance médiatique. Selon la doctrine de la guerre révolutionnaire, sur laquelle nous revenons plus bas, cette campagne aurait pour effet d’activer chez les groupes non stigmatisés un réflexe de non identification et de non solidarité avec les groupes stigmatisés, et, par suite, de recentrement autour du discours officiel. Des attaques multiples qui pourraient n’être qu’une tentative de terrorisation et d’orientation psychologique de la «majorité silencieuse», victime d’une manipulation destinée à servir des enjeux d’une domination politique.

Le principe marche très bien à l’échelle d’une population : pourquoi dans le cas où l’on n’appartient à aucun des groupes stigmatisés se rapprocherait-on d’eux ou adopterait-on leurs idées, à moins de vouloir se confronter aux autorités, avec ses collègues bien-pensants ou avec… son boss ? C’est ainsi que certains salariés ont refusé l’étiquette de «rouges» et ne se sont pas déclarés grévistes lors des dernières manifestations nationales. Combien serait-on si chacun pouvait débrancher ce petit système de survie ? La suggestion marche de fait très bien, comme dans l’expérience de la goutte d’huile dans l’eau, au milieu du sel et du poivre — pour ceux qui ne connaissent pas l’expérience, l’huile sépare brutalement le sel et le poivre, qui s’en vont chacun sur un bord opposé de l’assiette. Chez les esprits bien pensants, le principe d’éloigner des groupes visés par la stigmatisation ou la répression, qu’elle soit policière ou médiatique, et, corrélativement, d’identification avec les groupes non visés, est une tendance inévitable.

Dans l’hypothèse où la surenchère sécuritaire reposerait sur une stratégie de contresubversion, les attaques répétées contre les «virus» du système politico-économique actuel auraient pour but de diffuser un sentiment de terreur et, corrélativement, de passivité, au moment même où les attaques du système démocratiques se multiplient et où le citoyen ressent qu’il a perdu le pouvoir de faire entendre ses exigences
[Emblématique de ce qu’est devenu le débat parlementaire : la campagne anti-hadopiste a montré à quel point l’Assemblée était vidée de sa fonction démocratique. Des députés de la majorité ont fait savoir en effet, entre les deux passages à l’Assemblée, tout leur mépris du processus démocratique (la loi passera, martèle l’un d’eux), avouant par là que les votes se réduisent toujours plus à une procédure formelle et que le travail parlementaire ne protège plus des effets d’une politique de domination.]. Cette perte de pouvoir est précisément ce qui doit être maintenu le plus longtemps possible dans l’ombre en limitant la propagation de l’esprit de révolte, en orchestrant la désignation d’ennemis intérieurs et la stabilisation de l’opinion. Nous verrons que cette stabilisation sert, dans le même temps, à légitimer le déploiement d’une architecture du contrôle et des choix sécuritaires en vue de la répression de tous les contre-pouvoirs émergents, autrement dit le maintien d’une politique de classes.

Retour sur une doctrine de guerre

Au Festival des résistances et alternatives à Paris (FRAP), mi-mai, Mathieu Rigouste exposait à ses auditeurs ses recherches sur les techniques de la guerre révolutionnaire, à partir notamment des archives de l’Institut des hautes études de la Défense nationale (IHEDN). En tant que spécialité qui a valu aux Français une réputation mondiale, la doctrine de la guerre révolutionnaire tire son origine d’expériences de guerres, en Indochine puis en Algérie. Ces expériences, incluant torture, disparitions forcées, infiltrations, recensement, maillage de la population, dénonciations, visaient d’une part à maîtriser l’adversaire et d’autre part à obtenir la collaboration de la population non révolutionnaire. Ces expériences furent rassemblées dans plusieurs documents au retour de la guerre d’Indochine.

La doctrine suppose que les «virus» subversifs — révolutionnaires, communistes, de libération nationale, etc. — mettent en danger la population d’une zone, ayant des effets nocifs sur son «unité» et pouvant aussi renverser l’opinion de la partie non atteinte de la population. Ces virus subversifs sont cachés au sein de la population, sans qu’on puisse séparer les citoyens inoffensifs des révolutionnaires. Ils sont logiquement organisés autour d’une OPA (organisation politico-administrative). La mission de l’armée et des services de renseignement est alors de lutter contre ces virus en identifiant et en poursuivant l’OPA dans la population globale. Pour y parvenir, il est nécessaire d’influencer celle-ci, en la persuadant de son intérêt à ne pas cacher les subversifs, à s’en éloigner, ainsi qu’à collaborer et à dénoncer les membres de l’OPA.

Constituée entre 1953 et 1960, la doctrine a fait l’expertise des renseignements et de l’armée française à l’étranger, au point que d’autres pays sont venus se former en France à ce type de tactique urbaine. Elle a été interdite officiellement en France en 1961, mais cela n’a pas empêché Mai 1968 d’en être un nouveau terrain d’application. De plus, depuis les années 1970, quoique interdite, la doctrine a sans doute contribué à façonner la grille de lecture sécuritaire face aux poulations immigrées, vécues comme vecteur intérieur d’une menace globale — islamisme, terrorisme, immigration clandestine, violences urbaines… — et a entraîné la mise en place du nouvel ordre sécuritaire sur une base identitaire. C’est l’avis de Mathieu Rigouste
[Cf. «L’ennemi intérieur. La généalogie coloniale et militaire de l’ordre sécuritaire dans la France contemporaine», de Mathieu Rigouste. Consultable sur le site de l’éditeur.], pour qui le modèle matriciel issu des guerres coloniales a imprégné la vision des politiques de sécurité intérieure et les premiers dispositifs sécuritaires.

Au sein de l’IHEDN, qui n’est autre qu’un institut créé par Pétain pour former les cadres de la nation, Mathieu Rigouste indique que la doctrine a toujours eu ses défenseurs, qu’elle y reste discutée encore aujourd’hui et continue d’influencer une élite à la fois militiaire, politique et médiatique par ses principes simples et efficaces. Or cette élite de l’IHEDN, qui est pour un tiers composée de cadres de l’armée, pour un tiers de magistrats et pour un tiers de personnalités du privé — patrons de l’audiovisuel et de la presse, du complexe militaro-industriel… —, est-elle toujours chargée ou tentée de transmettre les représentations des subversifs et la manière de les reconnaître dans le corps social ? La doctrine peut-elle s’étendre à de nouveaux ennemis, de plus en plus imaginaires ? Et dans quel but, sachant qu’une telle stratégie se double toujours d’enjeux de domination totale ?

Les «risques gris» et la multiplication des «ennemis intérieurs»

À ces questions il est tentant de répondre par une autre : pourquoi un pays dont c’est la spécialité, qui a plusieurs fois affirmé sa supériorité dans ces techniques, y compris en 1968, et dont l’élite (militaire, médiatique, etc.) continue à être en contact avec les principes très simples de la contresubversion, bref, pourquoi l’ordre établi se priverait-il d’une telle arme ? L’on n’abandonne pas une arme qui marche, qui plus est dans un pays dont c’est devenu la spécialité en matière d’ordre social…

Plus précisément, dans un rapport des RG de 2005, au moment où la police est confrontée aux émeutes urbaines dans les banlieues, les risques «sociaux» prennent le pas sur l’islamisme, qui formait jusqu’alors le principal ennemi potentiel. Il y a une inflexion dans la façon de considérer les facteurs de risques sociaux. Le rapport de RG généralise la cause des émeutes. Il s’agit d’un «risque gris» multiple, au sein des milieux populaires, par opposition aux milieux bourgeois. Tous les milieux populaires sont considérés comme des milieux à risques. À cette période, les discutants de l’IHEDN montrent qu’il ne semble pas y avoir de récupération gauchiste ni d’animation terroriste dans les émeutes et que ces mouvements sont avant tout «sociaux», autrement dit sans véritable OPA — l’organisation politico-administrative qui caractérisait le réseau subversif. Curieusement, après les émeutes, la police française a redoré son blason de spécialiste mondial dans les combats contre les risques intérieurs. Depuis, quoiqu’il ne s’agisse pas de rechercher la «tête» de réseaux de subversion — et peut-être à cause de ce côté flou des «risques sociaux» mal définis —, l’on voit sans cesse brandir des solutions de quadrillage technologico-sécuritaire du territoire, comme ces derniers jours autour des établissements scolaires.

Cependant, il ne peut être question d’étendre ces instruments de contrôle à tous les espaces publics et parfois privés — cf. l’incitation faite aux commerçants de s’équiper de caméras de sécurité — sans créer ou orchestrer des événements qui le légitimeront. C’est là que le principe psychologique de la contresubversion pourrait s’avérer efficace, pour légitimer ces installations en s’appuyant sur la construction d’ennemis intérieurs désignés. Ainsi, la croissance du nombre d’interpellations, de violences policières, de gardes à vue prolongées, ainsi que de stigmatisations de plus en plus multiformes de groupes sociaux présentés comme subversifs pourraient servir la logique de domination globale d’une classe dirigeante de moins en moins «soucieuse» des libertés. Cette logique globale, au-delà des intérêts que l’on pourrait qualifier d’économiques — de relance économique par l’innovation sécuritaire, puisque la recherche et l’équipement technologique sécuritaire se trouvent de fait largement stimulés — est surtout porteuse d’une intention de maintien de l’ordre. Intimider, voire terroriser l’opinion, et par là aussi et surtout : convaincre une majorité d’adhérer au renforcement de tous les contrôles et de maintenir en place un pouvoir qu’elle serait tentée de désavouer s’il n’y avait pas ces ennemis intérieurs.

Dans les faits, les dispositifs sécuritaires conquièrent des espaces où ils n’auraient pas été tolérés un an plus tôt. Installations de caméras, fichiers de renseignements, portiques de détection des métaux, fouilles des élèves, descentes de police — vecteurs d’une «bonne insécurité» selon certains, après des descentes de prévention contre la drogue —, etc., gagnent tout le système éducatif. Dans la même logique antisubversive, il faut rappeler, fin 2008, un appel d’offres du ministère de l’Éducation pour la création de fichiers répertoriant les «leaders d’opinion» à l’université, analysant «leur potentiel d’influence et leur capacité à se constituer en réseau». Ce système en place depuis 2006, de l’aveu du ministère, et digne des méthodes de renseignement les plus contresubversives augure mal de la façon de considérer le milieu universitaire. Il faut dire que depuis la loi Devaquet, en 1986, et à la suite des mouvements anti-CPE en 2006, le gouvernement a fort à faire avec la lucidité d’un milieu retors aux manipulations (sans parler des prises de conscience de cette année). De fait aussi, les lieux de la criminalité désignés comme tels se multiplient, avec une focalisation particulière, ces jours-ci encore, sur le système éducatif, après le coup de poignard d’un collégien sur une prof de maths qui l’avait puni ou l’agression d’une CPE dans les couloirs d’un collège. Des faits dramatiques surexploités et où l’on se hâte de légitimer la réponse sécuritaire par l’exemple du grand frère américain. Las, l’intelligence statistico-comparative a ses limites lorsqu’on n’oublie tant d’autres paramètres et que l’on fait l’impasse sur le bilan d’un pays en proie à une crise totale… Mais certains continuent, comme le fait le gouvernement, à se servir de l’argument d’autorité du grand frère américain.

Quant aux offensives médiatiques, la liste serait longue. Quelques-unes parmi les plus visibles : en janvier 2009, le JDD titrait à propos des grévistes de Saint-Lazare : «SUD, le nouvel ennemi public», au milieu d’une campagne médiatique générale analysée par Le Plan B dans son numéro de février-mars ; des colonnes entières sont consacrées aux sacages occasionnés en marge des manifestations — anti-OTAN, anti-G20, grèves nationales… —, dont certains sont visiblement entretenus par les services de sécurité ; quant au montage de l’«ultragauche» et de la «bande à Coupat», référence aux années 1920 dont personne ne connaît plus rien, il est l’emblème du refus de laisser émerger des alternatives critiques (aux modes de production-consommation actuels, etc.) et de voir étalés au grand jour les tabous de l’ordre établi. D’une manière générale, la presse a intérêt à relayer les attaques du gouvernement, à stabiliser l’opinion et à la maintenir éloignée des «subversifs», faisant le jeu de la contresubversion en relayant les effets d’intimidation [La caisse de résonance médiatique partage une large responsabilité dans la diffusion de l’intimidation. L’effet psychologique joue d’autant mieux que la saturation d’informations empêche d’élaborer les faits et maintient l’opinion dans l’incapacité de s’interroger réellement sur ce qui s’est passé. La succession des messages semble court-circuiter les processus de réflexion. La diffusion de messages traumatisants oblige de plus chacun à brider sa sensibilité et à endommager la capacité de critique et d’engagement.].

Il faudrait ajouter, parmi d’autres, la manipulation des chiffres sur la délinquance pour modifier les principes de la justice des mineurs, les attaques aux sans-papiers pour justifier des chasses à l’homme terrorisantes, la culpabilisation des associations d’aide aux sans logement (le DAL face à la justice) ou aux sans-papiers, l’organisation de la délation, etc. Face à ce qui pourrait être des applications médiatiques du principe de contresubversion, on ne peut omettre de mentionner la grippe A, diagnostiquée comme une pandémie dès les premiers cas et elle aussi en bonne place pour maintenir l’angoisse d’une pandémie mortelle à son maximum, laisser planer la perspective d’une loi martiale prochaine — comme au Mexique début mai, où elle a favorisé des interpellations. Une situation visiblement prévue depuis mi-2007, date où un programme d’éducation récemment évoqué par le président de France Télévisions a été conçu avec l’aide de France 5, afin de poursuivre l’éducation des jeunes par des modules télévisés, dans l’hypothèse où serait prononcée l’interdiction de sortir des chaumières.

À la différence de la guerre révolutionnaire, la figure de ces ennemis est entachée d’un flou général quant à leurs revendications. Cela rappelle le «risque gris» mentionné plus haut, et l’absence d’OPA dans un certain nombre de cas. En revanche, dès qu’un simili d’OPA se présente, il devient une cible directe. Un risque gris émergeant qui plonge ses racines dans la remise en cause de l’ordre établi, la lutte contre un État mafieux ou, comme on pourrait le dire à l’ancienne : la lutte des classes… Et cela au sein des milieux populaires, mais pas seulement — Coupat dans l’interview qui précède sa remise en liberté a cette phrase : «Il y a de la plèbe dans toutes les classes» (citant Hegel)… C’est ainsi que sont visées toutes les voix discordantes qui ne servent pas la «planification» étatique en matière de développement industriel et social, les choix de l’innovation et de la croissance financière, toutes les voix discordantes qui luttent contre les choix sécuritaires et de contrôle, contre la régression du droit du travail et les choix de mise au pas du salariat par les grandes instances internationales, et enfin toutes les générations susceptibles d’apprendre et de repenser le monde autrement — d’où la focalisation sur les étudiants et la jeunesse. Tout cela doit être considéré comme des virus et il faut empêcher la collusion et le rapprochement du reste de la population avec eux, qui pense : «Plutôt ma sécurité que de moisir au poste 96 heures pour avoir barbouillé un panneau publicitaire»… (comme c’est arrivé récemment à des antipubs).

Ces «virus» peuplent les journaux, les postes de police ou les prisons, soumis à des procédures d’interpellation, de garde à vue et d’emprisonnement de moins en moins conformes au droit et à la justice. Les rapports récemment publiés d’Amnesty, de la LDH ou de la Commission de déontologie de la sécurité confirment la tendance, même s’ils font l’objet d’une médiatisation infime et que la classe politique s’en saisit très peu. Même, à un autre niveau, le bilan 2009 de la CNIL — qui comportait des critiques sur les atteintes au droit dans la loi Création et Internet — a subi un retard de publication jusqu’au dernier vote de la loi Hadopi afin de limiter sa médiatisation. C’est dire la transparence dans laquelle ces rapports sont publiés et accueillis par la classe politique. Sans doute les rapports sur la sécurité seront-ils eux aussi lettre morte au niveau politique, car les violences policières et les interpellations dites régulières sont, vis-à-vis des subversifs, la preuve renouvelée d’une stratégie de violence morale et d’une urgence de soumission générale de la société.

Ici, en temps de paix, les caméras, interpellations, fichiers, enregistrements divers valent pour le quadrillage des villes et les barrages filtrants dans la casbah d’Alger en pleine guerre d’Algérie. En temps de paix aussi, cette arme psychique qui consiste à faire grandir les peurs, sur fond de crise économique, s’avère être l’arme idéale pour faire admettre une politique d’inégalités contraire aux intérêts de la majorité.

L’ère de la manipulation

Voilà au final à quoi pourrait servir la multiplication des groupes stigmatisés et l’amplification du volume des attaques contre toutes sortes d’opposants :
1) Faire agir la séparation spontanée entre «ceux qui n’ont rien à se reprocher» et les personnages «dangereux pour la société» ;
2) Faire entrer en vigueur tous les dispositifs les plus impensés auparavant afin de préparer le contrôle de tous les espaces sociaux, voire privés ;
3) Maintenir un ordre de domination dont les intérêts sont classiques : la domination sans contre-pouvoir, avec de nouveaux instruments de l’ordre, y compris les techniques d’intimidation psychologique.

L’on peut considérer aujourd’hui que l’État et la classe dominante organisent la domination d’une manière technique, en abusant de leur statut officiel d’État et de dirigeants ou de professions influentes, par la dénonciation officielle d’ennemis de l’ordre intérieurs dont il s’agit d’éloigner le reste de la population. Il faut organiser la suspicion à l’égard des fauteurs de troubles afin qu’elle soit plus forte que la suspicion que peuvent engendrer le maillage des lieux d’existence par l’industrie sécuritaire ou le marketing, la destruction systématique des oppositions émergentes et les politiques d’inégalités. C’est en effet le seul biais qui s’offre à eux pour maintenir un simulacre d’adhésion. Et cela marche sur tous les esprits bien-pensants.

Et si cela s’avérait ne pas être une technique de contresubversion — mais une logique autogénérée par le système de gouvernementalité actuel, fondé sur des calculs de risques, et qui, selon une logique foucaldienne, génère de façon systématique des instruments d’analyse et de contrôle de ces risques pour installer ses pare-feux là où sont décelés des risques d’insécurité —, les conséquences psychologiques sont identiques : le témoin des coups de sang des ministres et des stigmatisations à l’emporte-pièce interprète que, s’il est un bon citoyen, il ne doit pas s’acoquiner ou collaborer avec les «rebelles».

Inquiéter, terroriser ou empêcher les plus dociles de rejoindre le camp «rebelle» : cela marche sur tous les esprits bien-pensants à l’heure ou il semble que la pire des obcénités soit devenue l’exigence de liberté.

Louise Renard - HNS-Info, 1er juin 2009.




Gloses marginales aux "Commentaires sur la société du spectacle"

Publié le 4 AOUT 2008, sur l'excellent blog LE JURA LIBERTAIRE

Ce texte est la postface que Giorgio Agamben a écrite pour la traduction italienne des Commentaires sur la société du spectacle, qui paraît en même temps que la réédition de la Société du spectacle.


I. Stratège

Les deux livres de Debord, présentés ici au public italien dans un même volume, constituent l’analyse la plus lucide et sévère des misères et des servitudes d’une société — celle du spectacle, où nous vivons — qui a étendu aujourd’hui sa domination sur toute la planète. En tant que tels, ces livres, n’ont besoin ni d’éclaircissements ni d’éloges, et encore moins d’une préface. Tout au plus risquerons nous ici quelque glose marginale, semblable à ces signes que les copistes du Moyen Âge traçaient en marge des passages les plus remarquables. Suivant une rigoureuse intention anachorétique, ces livres se sont, en effet, séparés, en trouvant leur lieu propre non pas dans un ailleurs improbable, mais uniquement dans la délimitation cartographique précise de ce qu’ils décrivent. Vanter l’indépendance de leur jugement, la clairvoyance prophétique, la perspicacité classique du style ne servirait à rien. Aucun auteur ne pourrait aujourd’hui trouver consolante la perspective que son œuvre soit lue dans un siècle (par qui ?) ni aucun lecteur ne pourrait se complaire (de quoi ?) à l’idée d’appartenir au petit nombre de ceux qui l’ont comprise avant les autres. Ceux-ci doivent être utilisés plutôt comme des manuels ou des instruments pour la résistance ou pour l’exode, semblables à ces armes impropres dont le fugitif (selon la belle image de Deleuze) s’empare et qu’il glisse furtivement dans sa ceinture. Ou plutôt, comme l’œuvre d’un stratège singulier (le titre Commentaires renvoit précisément à une tradition de ce type), dont le champ d’action n’est pas tant celui d’une bataille où il s’agit de ranger des troupes, que la pure puissance de l’intellect. Une phrase de Clausewitz, citée dans la préface de la quatrième édition de la Société du spectacle, exprime parfaitement cette caractéristique : «Dans toute critique stratégique, l’essentiel est de se mettre exactement au point de vue des acteurs. Il est vrai que cela est souvent difficile. La grande majorité des critiques stratégiques disparaîtraient intégralement, ou se réduiraient à de très légères distinction de compréhension, si les écrivains voulaient ou pouvaient se mettre par la pensée dans toutes les circonstances où se trouvaient les acteurs.» En ce sens, non seulement Le Prince, mais aussi l’Éthique de Spinoza est un traité de stratégie : une opération de potentia intellectus, sive de libertate.


II. Fantasmagorie

Marx se trouvait à Londres lorsque en 1851 la première Exposition universelle fut inaugurée avec grand éclat à Hyde Park. Parmi les différents projets proposés, les organisateurs choisirent celui de Paxton, qui prévoyait un immense palais entièrement de cristal. Dans le catalogue de l’Exposition, Merrifield écrivit que le Palais de Cristal «est sans doute le seul édifice au monde dont l’ambiance est perceptible… à un spectateur situé dans la galerie à l’extrémité orientale ou occidentale… les parties les plus éloignées de l’édifice apparaissent enveloppées d’un halo azur». Le premier grand triomphe de la marchandise eut lieu, autrement dit, sous le signe, à la fois de la transparence et de la fantasmagorie. Le guide de l’Exposition universelle de Paris de 1867 insiste à son tour sur cette contradiction spectaculaire «il faut au public une conception grandiose qui frappe son imagination… il veut contempler un coup d’œil féerique et non pas des produits ressemblants et uniformément groupés».

Il est probable que Marx se soit souvenu de l’impression ressentie à la vue du palais de cristal lorsqu’il rédigea la section du Capital intitulée «Le Fétichisme de la marchandise et son secret». Que cette section occupe une position liminale dans l’œuvre n’est certes pas un hasard. Le dévoilement du «secret» de la marchandise fut la clef qui ouvrit à la pensée le règne enchanté du capital, que celui-ci a toujours tenté d’occulter en l’exposant au grand jour. Sans l’identification de ce centre immatériel, où le produit du travail, en se dédoublant en une valeur d’usage et en une valeur d’échange, se transforme en une «fantasmagorie… qui en même temps tombe et ne tombe pas sous les sens», toutes les recherches ultérieures du Capital n’auraient probablement pas été possibles.

Pourtant, dans les années soixante, l’analyse marxienne du fétichisme de la marchandise était, dans les milieux marxistes, étrangement négligée. En 1969, dans la préface à une réédition populaire du Capital, Louis Althusser invitait encore le lecteur à sauter la première section, dans la mesure où la théorie du fétichisme constituait une trace «flagrante» et «extrêmement dangereuse» de la philosophie hégélienne.

D’autant plus remarquable est le geste avec lequel Debord fonde précisément sur cette «trace flagrante» son analyse de la société du spectacle, autrement dit, de la figure extrême que revêt le capitalisme. Le «devenir image» du capital n’est que la dernière métamorphose de la marchandise, où la valeur d’échange a désormais totalement éclipsé la valeur d’usage et, après avoir falsifié l’entière production sociale, peut accéder désormais à un statut de souveraineté absolue et irresponsable sur l’existence entière. Le Palais de cristal de Hyde Park, où la marchandise exhibait pour la première fois sans voile son mystère, est, en ce sens, une prophétie du spectacle, ou plutôt, le cauchemar où le XIXe siècle a rêvé du vingtième. Se réveiller de ce cauchemar est la première tâche que les situationnistes se sont assignée.


III. La Nuit de Walpurgis

S’il existe, en ce siècle, un écrivain auquel Debord accepterait peut-être d’être comparé, c’est Karl Kraus. Personne n’a su mieux que Kraus, dans sa lutte acharnée contre les journalistes, mettre en lumière les lois cachées du spectacle, «les faits qui produisent les nouvelles et les nouvelles coupables des faits». Et si l’on pouvait imaginer quelque chose qui corresponde à la voix hors champ qui dans les films de Debord accompagne l’exposition du désert des décombres du spectacle, rien ne serait plus juste que la voix de Kraus qui, au cours de ces fascinantes lectures publiques décrites par Canetti, met à nu, dans l’opérette d’Offenbach, la secrète et féroce anarchie du capitalisme triomphant.

On connaît la boutade avec laquelle, dans la Troisième Nuit de Walpurgis, Kraus justifie son silence devant l’avènement du nazisme : «Sur Hitler il ne me vient rien à l’esprit.» Ce Witz féroce, où Kraus confesse sans indulgence ses propres limites, marque également l’impuissance de la satire face à l’indescriptible qui devient réalité. Comme poète satirique, il est réellement «l’un des derniers épigones / qui habitent l’antique maison du langage». Certes, pour Debord comme pour Kraus, la langue se présente comme l’image et le lieu de la justice. Toutefois, l’analogie s’arrête ici. Le discours de Debord commence précisément là où la satire se tait. L’antique maison du langage (et avec elle, la tradition littéraire sur laquelle la satire se fonde) est désormais falsifiée et manipulée de fond en comble. Kraus réagit à cette situation en faisant de la langue le lieu du jugement Dernier. Debord, au contraire, commence à parler lorsque le jugement Dernier a déjà eu lieu et que le vrai n’a été reconnu que comme un moment du faux. Le jugement Dernier dans la langue et la nuit de Walpurgis du spectacle coïncident totalement. Cette coïncidence paradoxale est le lieu d’où sa voix résonne perpétuellement hors champ.


IV. Situation

Qu’est-ce qu’une situation construite ? «Un moment de la vie, concrètement et délibérément construit par l’organisation collective d’une ambiance unitaire et d’un jeu d’événements» annonce une définition du premier numéro de l’Internationale situationniste. Rien, cependant, ne serait plus illusoire que de penser la situation comme un moment privilégié ou exceptionnel au sens esthétique. Celle-ci n’est ni le devenir art de la vie ni le devenir vie de l’art. La nature réelle de la situation ne peut être comprise que si elle est historiquement située dans le lieu qui lui est imparti, c’est-à-dire après la fin et l’auto-destruction de l’art et après le passage de la vie à travers l’épreuve du nihilisme. Le «passage au nord-ouest dans la géographie de la vraie vie» est un point d’indifférence entre la vie et l’art, où toutes deux subissent en même temps une métamorphose décisive. Ce point d’indifférence est une politique finalement à la hauteur de ses objectifs. Au capitalisme, qui organise «concrètement et délibérément» des milieux et des événements pour diminuer la puissance de la vie, les situationnistes répondent par un projet tout aussi concret, mais de signe opposé. Leur utopie est, encore une fois, parfaitement topique, puisqu’elle se situe dans l’avoir-lieu de ce qu’elle veut renverser.

Rien ne peut sans doute mieux suggérer l’idée d’une situation construite, que la misérable scénographie où Nietzsche situe dans le Gai Savoir l’Experimentum crucis de sa pensée. Une situation construite est celle de la chambre avec l’araignée qui grimpe sur le mur, au moment où à la question du démon : «Veux-tu que cet instant revienne une infinité de fois ?», est donnée la réponse : «Oui, je le veux». Décisif est ici le déplacement messianique qui transforme intégralement le monde, en le laissant presque entièrement intact. Puisque tout ici est resté inchangé, mais a perdu son identité.

La comédie de l’art fournissait aux acteurs des canevas, c’est-à-dire des instructions, pour que ceux-ci construisent des situations, où un geste humain soustrait aux puissances du mythe et du destin pouvait enfin s’avérer possible. On ne comprend rien au masque comique, tant qu’on le comprend comme un personnage diminué et indéterminé. Arlequin ou le Docteur ne sont pas des personnages, au sens où Hamlet et Œdipe peuvent l’être : les masques sont non des personnages, mais des gestes représentés selon un type, une constellation de gestes. Dans la situation en acte, la destruction de l’identité du rôle va de pair avec la destruction de l’identité de l’acteur. C’est le rapport même entre le texte et l’exécution, entre la puissance et l’acte qui est remis ici en cause. Car entre le texte et son exécution s’insinue le masque, comme mélange indifférencié de puissance et d’acte. Et ce qui a lieu — sur la scène, comme dans la situation construite — ce n’est pas l’actualisation d’une puissance, mais la libération d’une puissance ultérieure. Geste est le nom de cette croisée où se rencontrent la vie et l’art, l’acte et la puissance, le général et le particulier, le texte et l’exécution. Fragment de vie soustrait au contexte de la biographie individuelle et fragment d’art soustrait au contexte de la neutralité de l’esthétique : pure praxis. Ni valeur d’usage ni valeur d’échange, ni expérience biographique, ni événement impersonnel, le geste est l’envers de la marchandise, qui laisse précipiter dans la situation les «cristaux de cette substance sociale commune».


V. Auschwitz / Timisoara

L’aspect sans doute le plus inquiétant des livres de Debord tient à l’acharnement avec lequel l’histoire semble s’être appliquée à confirmer ses analyses. Non seulement, vingt ans après La Société du spectacle, les Commentaires (1988) ont pu enregistrer dans tous les domaines l’exactitude des diagnostics et des prévisions, mais entre-temps, le cours des événements s’est accéléré partout si uniformément dans la même direction, qu’à deux ans à peine de la sortie du livre, il semble que la politique mondiale ne soit plus aujourd’hui qu’une mise en scène parodique du scénario que celui-ci contenait. L’unification substantielle du spectacle concentré (les démocraties populaires de l’Est) et du spectacle diffus (les démocraties occidentales) dans le spectacle intégré, qui constitue une des thèses centrales des Commentaires, que bon nombre ont trouvé à l’époque paradoxale, s’avère à présent d’une évidence triviale. Les murs inébranlables et les fers qui divisent les deux mondes furent brisés en quelques jours. Afin que le spectacle intégré puisse se réaliser pleinement également dans leur pays, les gouvernements de l’Est ont abandonné le parti léniniste, tout comme ceux de l’Ouest avaient renoncé depuis longtemps à l’équilibre des pouvoirs et à la liberté réelle de pensée et de communication, au nom de la machine électorale majoritaire et du contrôle médiatique de l’opinion (qui s’étaient tous deux développés dans les États totalitaires modernes).

Timisoara représente le point extrême de ce procès, qui mérite de donner son nom au nouveau cours de la politique mondiale. Une police secrète, qui avait conspiré contre soi-même pour renverser le vieux régime à spectacle concentré, et une télévision, qui mettait à nu sans fausse pudeur la fonction politique réelle des médias, ont réussi à accomplir ce que même le nazisme n’avait osé imaginer — faire coïncider en un seul événement monstrueux Auschwitz et l’incendie du Reichstag. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, des cadavres à peine enterrés ou alignés sur les tables des morgues, ont été exhumés en vitesse et torturés pour simuler devant les caméras le génocide qui devait légitimer le nouveau régime. Ce que le monde entier voyait en direct sur les écrans de télévision comme la vérité vraie, était la non-vérité absolue et bien que la falsification ait paru par moments évidente, elle fut authentifiée cependant comme vraie par le système mondial des médias pour qu’il soit clair que le vrai, désormais, n’était qu’un moment dans le mouvement nécessaire du faux. Ainsi la vérité et le faux devenaient indiscernables et le spectacle se légitimait uniquement à travers le spectacle.

Timisoara est, en ce sens, l’Auschwitz de l’âge du spectacle : et de même qu’il a été dit qu’après Auschwitz, il est impossible d’écrire et de penser comme avant, de même après Timisoara, il ne sera plus possible de regarder un écran de télévision de la même manière.


VI. Schechina

En quel sens, à l’époque du triomphe accompli du spectacle, la pensée peut-elle recueillir aujourd’hui l’héritage de Debord ? Puisqu’il est clair que le spectacle est le langage, le caractère communicatif ou l’être linguistique même de l’homme. Ceci signifie que l’analyse marxienne doit être intégrée au sens où le capitalisme (ou quel que soit le nom que l’on veuille donner au procès qui domine aujourd’hui l’histoire mondiale) ne concernait pas seulement l’expropriation de l’activité productive, mais aussi et surtout l’aliénation du langage même, de la nature linguistique et communicative de l’homme, de ce logos auquel un fragment d’Héraclite identifie le Commun. La forme extrême de cette expropriation du commun est le spectacle, c’est-à-dire la politique où nous vivons. Mais ceci signifie aussi, que, dans le spectacle, c’est notre propre nature linguistique qui s’avance vers nous renversée. C’est pourquoi (précisément parce que c’est la possibilité même d’un lien commun qui est expropriée) la violence du spectacle est si destructrice, mais c’est aussi pourquoi, le spectacle contient encore quelque chose comme une possibilité positive, qu’il s’agit d’utiliser contre lui.

Rien n’évoque mieux cette condition que la faute appelée par les cabalistes «isolement de la Schechina» imputée à Aher, l’un des quatre rabbi qui, selon une célèbre Aggada du Talmud, entrèrent au Pardes (c’est-à-dire dans la connaissance suprême). «Quatre rabbi, dit l’histoire, entrèrent au Paradis : Ben Azzai, Ben Zoma, Aher et rabbi Akiba… Ben Azzai jeta un regard et mourut… Ben Zoma regarda et devint fou… Aher coupa les rameaux. Rabbi Akiba sortit indemne.»

La Schechina est la dernière des dix Sephiroth ou attributs de la divinité, celle qui exprime, en fait, la présence divine même, sa manifestation ou habitation sur terre : sa «parole». La «coupe des rameaux» de Aher est identifiée par les cabalistes au péché d’Adam, qui, au lieu de contempler la totalité des Sephiroth, préféra contempler la dernière en l’isolant des autres, séparant ainsi l’arbre de la science de celui de la vie. Comme Adam, Aher représente l’humanité, en tant que, en faisant du savoir son propre destin et sa propre puissance spécifique, elle isole la connaissance et la parole, qui ne sont que la forme la plus accomplie de la manifestation de Dieu (la Schechina) des autres Sephiroth où il se révèle. Le risque consiste ici en ce que la parole — c’est-à-dire la non-latence et la révélation de quelque chose — se sépare de ce qu’elle révèle et acquiert une consistance autonome. L’être révélé et manifeste — et, donc, commun et participable — se sépare de la chose révélée et s’interpose entre celle-ci et les hommes. Dans cette condition d’exil, la Schechina perd sa puissance positive et devient maléfique (les cabalistes disent qu’elle «suce le lait du mal»).

C’est en ce sens que l’isolement de la Schechina exprime notre condition épocale. Tandis qu’en effet, dans l’ancien régime, l’aliénation de l’essence communicative de l’homme prenait corps dans un présupposé qui lui servait de fondement, dans la société spectaculaire c’est cette communicativité même, cette essence générique (c’est-à-dire le langage) qui se trouve séparée dans une sphère autonome. Ce qui entrave la communication c’est la communicabilité même, les hommes sont séparés par ce qui les unit. Les journalistes et les médiocrates constituent le nouveau clergé de cette aliénation de la nature linguistique de l’homme.

Dans la société spectaculaire, où l’isolement de la Schechina, atteint, en effet, sa phase extrême, non seulement le langage se constitue en une sphère autonome, mais il ne peut plus rien révéler — ou mieux, il révèle le rien de toutes choses. De Dieu, du monde, du révélé il n’en est rien dans le langage : mais, dans cet extrême dévoilement néantifiant, le langage (la nature linguistique de l’homme) demeure à nouveau caché et séparé et atteint ainsi pour la dernière fois le pouvoir de s’assigner comme le non-dit d’une époque historique ou d’un état : l’âge du spectacle, ou l’État du nihilisme accompli. C’est pourquoi, le pouvoir établi sur la supposition d’un fondement vacille aujourd’hui sur toute la planète et les royaumes de la terre s’acheminent les uns après les autres vers le régime démocratico-spectaculaire qui est l’accomplissement de la forme état. Avant même la nécessité économique et le développement technologique, ce qui pousse les nations de la terre vers un unique destin commun c’est l’aliénation de l’être linguistique, le déracinement de chaque peuple de sa demeure vitale dans la langue.

Mais pour cette raison même, l’époque que nous vivons est également celle où pour la première fois il devient possible aux hommes de faire l’expérience de leur propre essence linguistique — non pas de tel ou tel contenu du langage, mais du langage même, non pas de telle ou telle proposition vraie, mais du fait même que l’on parle. La politique contemporaine est cet experimentum linguae dévastant, qui désarticule et vide sur l’ensemble de la planète traditions et croyances, idéologies et religions, identités et communautés.

Seuls ceux qui réussiront à l’accomplir jusqu’au bout, sans laisser que, dans le spectacle, ce qui se révèle reste voilé dans le rien qu’il révèle, mais en amenant au langage le langage même, deviendront les premiers citoyens d’une communauté sans présupposés ni état, où le pouvoir annihilant et déterminant de ce qui est commun sera pacifié et la Schechina cessera de sucer le lait corrompu de sa propre séparation.

Tel rabbi Akiba dans l’aggada du Talmud, ceux-là entreront et sortiront indemnes du paradis du langage.


VII. Tienanmen

Quel est, à la lumière crépusculaire des Commentaires, le scénario que la politique mondiale dessine sous nos yeux ? L’État spectaculaire intégré (ou démocratico-spectaculaire) constitue l’étape extrême dans l’évolution de la forme État, vers laquelle s’abîment précipitamment monarchies et républiques, tyrannies et démocraties, les régimes racistes autant que progressistes. Ce mouvement global, alors même qu’il semble redonner vie aux identités nationales, tend en réalité à la constitution d’une sorte d’État policier supranational, où les normes du droit international sont tacitement abrogées les unes après les autres. Non seulement depuis longtemps aucune guerre n’est plus déclarée (réalisant ainsi la prophétie de Schmitt, selon laquelle toute guerre deviendrait à notre époque une guerre civile), mais même l’invasion ouverte d’un État souverain peut être présentée comme l’exécution d’un acte de juridiction intérieur. Les services secrets, habitués depuis toujours à agir sans tenir compte des limites des souverainetés nationales, deviennent, dans un tel contexte, le modèle même de l’organisation et de l’action politique réelle. Pour la première fois dans l’histoire de ce siècle, les deux grandes puissances mondiales sont ainsi dirigées par deux émanations directes des services secrets Bush (ancien chef de la CIA) et Gorbatchov (l’homme d’Andropov) ; et plus ils concentrent le pouvoir en leur main, plus cela est salué, par le nouveau cycle du spectacle, comme une victoire de la démocratie. Malgré les apparences, l’organisation démocratique spectaculaire mondiale qui se dessine ainsi risque d’être, en réalité, la pire tyrannie qu’ait jamais connue l’histoire de l’humanité, par rapport à laquelle toute résistance et opposition deviendront toujours plus difficiles, d’autant que désormais celle-ci aura pour tâche de gérer la survie de l’humanité à un monde habitable pour l’homme.

Il n’est pas sûr toutefois, que la tentative du spectacle de garder le contrôle du procès que celui-ci a contribué à amorcer, soit destinée à réussir. L’État spectaculaire reste, malgré tout, un État qui se fonde, comme tout État (ainsi que Badiou l’a montré), non pas sur le lien social, dont il serait l’expression, mais sur sa déliaison, qu’elle interdit. En dernière instance, l’État peut reconnaître n’importe quelle revendication d’identité — (l’histoire des rapports, à notre époque, de l’État et du terrorisme en est l’éloquente confirmation) même celle d’une identité étatique en son propre sein ; mais que des singularités forment une communauté sans revendiquer une identité, que des hommes co-appartiennent sans une condition représentable d’appartenance (l’être italien, ouvriers, catholiques, terroristes…) voilà ce que l’État ne peut en aucun cas tolérer. Pourtant, c’est le même État spectaculaire, en tant qu’il annule et vide de son contenu toute identité réelle et substitue le public et son opinion au peuple et à sa volonté générale, qui engendre massivement en son propre sein des singularités qu’aucune identité sociale ni condition d’appartenance ne caractérisent plus : des singularités vraiment quelconques. Car il est certain que la société du spectacle est également celle où toutes les identités sociales se sont dissoutes, où tout ce qui pendant des siècles a constitué la splendeur et la misère des générations qui se sont succédé sur terre a désormais perdu toute signification. Dans la petite bourgeoisie planétaire, à travers la forme de laquelle le spectacle a réalisé d’une manière parodique le projet marxien d’une société sans classes, les différentes identités qui ont marqué la tragi-comédie de l’histoire universelle sont exposées et recueillies dans une vacuité fantasmagorique. C’est pourquoi, si l’on nous permet d’avancer une prophétie sur la politique qui s’annonce, celle-ci ne sera plus un combat pour la conquête ou le contrôle de l’État par les nouveaux ou anciens sujets sociaux, mais une lutte entre l’État et le non-Etat (l’humanité), disjonction irrémédiable des singularités quelconques et de l’organisation étatique.

Ceci n’a rien à voir avec la simple revendication du social contre l’État, qui fut longtemps la raison commune des mouvements de contestation de notre époque. Les singularités quelconques dans une société spectaculaire ne peuvent former une societas, car ils ne sont en mesure de faire valoir aucune identité dont ils disposeraient, de revendiquer la reconnaissance d’aucun lien social. D’autant plus implacable est le contraste avec un État qui annihile tous les contenus réels, mais pour lequel un être radicalement privé de toute identité représentative serait (malgré toutes les déclarations vides sur la sacralité de la vie et sur les droits de l’homme) simplement inexistant.

Telle est la leçon qu’un regard attentif aurait pu tirer des événements de Tienanmen. Ce qui frappe le plus, en effet, dans les manifestations du mois de mai chinois c’est la relative absence de contenus déterminés de revendication (démocratie et liberté sont des notions trop génériques pour constituer un objet réel de conflit, et la seule exigence concrète, la réhabilitation de Hu Yao Bang, a été immédiatement satisfaite). D’autant plus inexplicable paraît la violence de la réaction étatique. Il est probable, toutefois, que la disproportion soit uniquement apparente et que les dirigeants chinois aient agi, de leur point de vue, en toute lucidité. À Tienanmen, l’État s’est trouvé confronté à ce qui ne peut être représenté et qui, toutefois se présente comme une communauté et une vie commune (et ceci indépendamment de la conscience que pouvaient en avoir les acteurs de la place Tienanmen). Que ce qui échappe à la représentation existe et forme une communauté sans présupposés ni conditions d’appartenance (comme une multiplicité inconsistante, dans les termes de Cantor), telle est précisément la menace avec laquelle l’État n’est aucunement disposé à composer.

La singularité quelconque, qui veut s’approprier de l’appartenance même, de son propre être-dans-le-langage et décline, pour cette raison, toute identité et toute condition d’appartenance, tel est le nouveau protagoniste, ni subjectif ni socialement consistant, de la politique qui vient. Partout où ces singularités manifesteront pacifiquement leur être commun, il y aura un Tienanmen et, un jour ou l’autre, les chars d’assaut apparaîtront.



Ce texte est la postface que Giorgio Agamben a écrite pour la traduction italienne des Commentaires sur la société du spectacle, qui paraît en même temps que la réédition de la Société du spectacle.

Futur antérieur no 2, été 1990.









Lettres de Guy Debord à Giorgio Agamben


16 février 90

Cher Giorgio,

Je vous envoie un exemplaire de ma préface italienne de 1979. J’y ai marqué les quelques passages où s’exprime au mieux, selon moi, le sens du livre. Et donc ma constance ; que beaucoup, en effet, pourraient bien appeler cynisme. Cela dépend des valeurs qu’ils admettent, et du vocabulaire dont ils disposent.

Si vous évoquez en passant cette préface dans la vôtre, cela compensera suffisamment son absence, qui autrement risquerait d’être remarquée, et peut-être mal interprétée, dans cette sorte de rassemblement de mes écrits sur le spectacle.

Nous avons été charmés de vous rencontrer, et je vous proposerai une soirée pour dîner ensemble dès que vous communiquerez le moment de votre retour ici.

Amicalement,

Guy





6 août 90

Cher Giorgio,

J’ai été un peu inquiet quand vous m’avez demandé récemment si je n’aimais pas le texte que vous aviez ajouté à mes Commentaires ; et surtout très en colère de rester incapable de vous répondre. Vous aurez sans doute peine à croire que SugarCo ne m’avait pas encore envoyé ce livre, paru en mars, et d’ailleurs ne me l’a pas encore envoyé depuis, malgré un rappel de mon éditeur parisien ? C’est, en effet, une insolence bien surprenante.

Je viens tout simplement d’en rencontrer à l’instant un exemplaire ; et encore est-ce seulement parce qu’un ami italien a lui-même jugé utile de me le communiquer avec l’autre édition (Agalev) de Bologne.

J’ai été, bien sûr, tout à fait charmé en lisant vos Gloses. Vous avez si bien parlé, dans tous vos écrits, de tant d’auteurs choisis avec le plus grand goût (j’en suis assuré, à l’exception de quelques exotiques que j’ignore très regrettablement et de quatre ou cinq Français contemporains que je ne veux pas du tout lire) que l’on se trouve forcément honoré de figurer dans un tel Panthéon.

J’étais content d’avoir, en 1967, et tout au contraire de ce sombre dément d’Althusser, tenté une sorte de «sauvetage par transfert» de la méthode marxiste en y remettant une grande dose de Hegel, en même temps qu’une reprise de la critique de l’économie politique qui veuille aussi tenir compte de ses développements constatables dans notre pauvre siècle, comme ils ont été prévisibles dès le précédent. Et j’admire beaucoup comme, cette fois, vous avez très légitimement ramené en plus Héraclite, à propos de l’expropriation effectivement totale du langage, qui précédemment avait été le «commun» ! C’est assurément la bonne direction pour reprendre la vraie tâche ; qui auparavant avait pu être appelée «remettre sur ses pieds» le monde, ou «philosopher à coups de marteau».

Bien amicalement,

Guy Debord









mardi 1 septembre 2009

Affaire Tarnac : La fin du politique ou le règne du regard







Tribune publiée dans le Journal du Pays Basque le 29/08/2009

Tülay Umay et Jean-Claude Paye / Sociologues

Les neuf jeunes gens accusés d'avoir dégradé les caténaires d'une ligne TGV sont toujours inculpés comme «membres d'une association de malfaiteurs à visée terroriste», bien qu'ils soient actuellement libérés et que l'accusation ait toujours affirmé ne pas détenir de preuves matérielles. Leur regard sur leur propre mode de vie, une existence qui se conçoit en dehors des circuits marchands, est, pour le pouvoir judiciaire et la ministre de la Justice, un élément qui peut se substituer aux faits. Leur volonté, de vivre en dehors de la société, révèle à coup sûr leur intentionnalité, celle de vouloir commettre des attentats afin de déstabiliser l'Etat. La perception des faits est suspendue et le regard que les prévenus portent sur eux-mêmes, comme incarnation de «l'ennemi intérieur», est convoqué. Ce regard devient l'objet du pouvoir qui désigne les prévenus comme coupables et les identifie comme terroristes.

Les poursuites sont investies d'un sens avant que les éléments de l'enquête soient perçus. De simples dégradations sont qualifiées d'actes terroristes et les coupables sont désignés a priori.

En l'absence d'indices matériels, l'accusation s'appuie principalement sur le livre L'insurrection qui vient, dont la rédaction est attribuée à Julien Coupat, considéré également comme le «chef» du groupe incriminé. Ce livre se réfère au sabotage comme moyen de paralyser la machine sociale. Il cite, comme exemple, le fait «de rendre inutilisable une ligne de TGV». Cette phrase est exhibée comme la marque attestant que les auteurs du livre sont nécessairement ceux qui ont commis les sabotages de la voie ferrée. L'accusation considère qu'il y a une parfaite continuité entre écrire cette phrase et le fait d'avoir commis les dégradations de la ligne du TGV.

Les objets de l'extériorité, les faits ne sont plus que de simples supports d'images. Celles-ci sont l'exhibition d'un pur signifié. Capturées par la pulsion scopique, elles nous font abandonner le domaine du pensable pour établir le règne de l'émotion.

Ce faisant, l'image s'oppose au langage. Au contraire du discours, auquel on peut opposer un autre discours, celle-ci ne peut intégrer la contradiction. Elle est englobante et entraîne une adhésion immédiate. C'est une question de foi.

Grâce à la subjectivation du droit pénal, les poursuites en matière de terrorisme ont pour base la formation d'une image destinée à diaboliser les inculpés. L'affaire Tarnac s'inscrit dans cette règle. Cependant, elle se spécifie par le caractère purement abstrait de l'image produite. Généralement, l'incrimination de terrorisme est construite à partir d'infractions réelles, telle, par exemple, la fabrication de faux papiers, un port d'arme prohibé... Ces éléments ne sont pas traités pour eux-mêmes, mais sont regardés dans le cadre de l'organisation terroriste. Ce qui leur donne un sens nouveau. Ici, nous sommes en présence d'une image autonome, libérée de tout lien matériel. La phrase d'un livre vendu en librairie attesterait de l'intention de son auteur présumé et devient l'incarnation d'un acte terroriste. Une identité est établie entre le mot et la chose.

Ce caractère abstrait permet une parfaite réversibilité entre le sens donné par le pouvoir et celui revendiqué par le groupe inculpé. Le livre ne développe pas une stratégie de la prise du pouvoir, il présente simplement une image de l'insurrection. Objet d'une exhibition et non d'un acte réel, il élabore un fétiche qu'il substitue au manque collectif, à la mort sociale qu'il énonce. Comme incarnation de l'insurrection, il est pur acte de jouissance et non affrontement. En l'absence de tout rapport à la réalité, il jouit de l'affirmation que «le pouvoir est aux abois». Cette phrase devient l'expression de sa toute puissance.

Par le refus de sa castration, il constitue un déni de ce manque et empêche tout affrontement avec le réel, toute émergence de la parole. Se présentant comme «la chair du monde», le fétiche occupe l'espace du manque, pour se réserver l'accès au symbolique, au pouvoir de nommer. A la lutte, il substitue le spectacle, dont il est à la fois auteur et spectateur. Le spectacle produit une réversibilité du regardant et du regardé, du visible et de l'invisible. Le sujet devient objet

En devenant objet du regard du pouvoir, le «comité invisible,» auteur revendiqué du livre, est nommé comme ennemi et intègre le symbolique. Ce faisant, il suspend aussi la matérialité des faits. En affirmant que l'existence du pouvoir est menacée, il conforte la justification donnée par l'Etat pour supprimer l'essentiel de nos libertés. Il nous enferme dans l'imagerie créée par le pouvoir.

L'affaire Tarnac est exemplaire de notre modernité. Elle nous montre la fin du politique, de la diversité des discours qui organisent le réel, pour laisser la place au règne uniformisant du regard. La prégnance de celui-ci réduit la fonction signifiante au signe. Il nous installe dans la psychose. Comme toute image, ce pur signifié n'a pas d'extérieur. Il englobe tant la nomination du pouvoir, qui crée un ennemi virtuel qualifié de terroriste, que sa reconnaissance par le groupe stigmatisé, comme «ennemi intérieur» qui ébranle l'Etat.


source: http://www.lejpb.com/paperezkoa/20090829/154033/fr/Affaire-Tarnac--La-fin-du-politique-ou-le-regne-du-regard


(Merci à A...pour le lien de l'article)